Biométhanisation: du fumier à l'indépendance énergétique
Parfois, pour trouver des entrepreneurs innovants, il faut sortir des sentiers battus. Et être prêt à se salir un peu. Dans l'exploitation agricole d'Eric Jonkeau, à Houffalize en province de Luxembourg, cela hume le fumier, certes, mais surtout l'esprit d'entreprendre et le goût du risque. L'éleveur touche-à-tout et hyperactif est en effet un des pionniers de la biométhanisation dans le sud du pays.
Obsédé par le désir d'accéder à l'indépendance énergétique, l'homme a décidé, voilà quelques années, de transformer les déchets liés à son activité d'élevage – forte de 380 bêtes –, en électrons et molécules. L'installation est impressionnante.
Autosuffisance
Chaque jour, 15 tonnes de fumier et de lisier sont acheminées vers un "digesteur", la cuve qui accueille le processus de biométhanisation et qui assure que les déchets soient "digérés" à l'aide de bactéries afin d'en extraire le méthane et le C02. Ensuite, le gaz produit est acheminé vers une unité de cogénération, qui l'utilise pour produire de la chaleur et de l'électricité.
Le biogaz qui n'a pas été utilisé est ensuite épuré, enrichi, odorisé et compressé afin d'alimenter, au final, une pompe de bioCNG, un biocarburant auquel roulent tous les véhicules de l'exploitation ainsi, qu'une dizaine de particuliers de la région. Notons aussi que le "digestat", les déchets résiduels après la biométhanisation, est ensuite utilisé pour fertiliser les terres avoisinantes.
" L'agriculteur espère pouvoir injecter à terme son surplus de biométhane directement dans le réseau Fluxys. "
Une boucle complète qui permet donc à Eric Jonkeau de ne plus dépendre des réseaux de distribution de gaz et d'électricité, ni d'achat d'énergie auprès de fournisseurs, tant pour son habitation que pour son exploitation agricole ainsi que ses deux gîtes en location. Il réalise de conséquentes économies, et quelques revenus grâce à la station-service et via l'injection de son électricité excédentaire au réseau.
Investissement de taille
Prochaines étapes, l'agriculteur espère pouvoir injecter à terme son surplus de biométhane directement dans le réseau Fluxys, dont des conduites sont à proximité, et d'ajouter deux bornes de recharge rapide pour véhicules électriques à sa station-service.
"On a une puissance électrique 250 kW et on vise 60 Nm³ (normo mètre cube, unité de mesure de quantité de gaz, NDLR) de biométhane. Au total, on épargne 30.000 litres de mazout par an grâce à notre réseau de chaleur et on produit de quoi alimenter deux ménages en électricité chaque heure. On injecte en moyenne 5.900 kWh d'électricité dans le réseau par jour, que nous revendons au fournisseur Cociter et pour lesquels nous recevons des certificats verts (2,5 par MWh produit)", liste Eric Jonkeau.
L'investissement aura été à la hauteur du risque pris, comme le souligne l'agriculteur. Plus de 3,2 millions d'euros pour l'ensemble des installations, dont une portion de subsides européens (8%) et wallons (27%) qui se font encore attendre.
Parcours du combattant
S'il est aujourd'hui fier de sa réalisation, Eric Jonkeau reconnaît volontiers que le chemin pour y parvenir a été pour le moins rocailleux. Outre les difficultés inhérentes à sa position de "pionnier" du système, l'agriculteur s'est également heurté au mur de contraintes réglementaires de la Région wallonne. "Tout prend du temps, la lourdeur administrative est le principal frein à ce type de projet", nous confie-t-il.
À cette incertitude ambiante s'ajoute aussi le délai de paiement des certificats verts, particulièrement long, "au point de faire exploser notre besoin en fonds de roulement", grimace l'agriculteur. Les aides tardent à arriver, le forçant même à contracter un crédit court-terme. Bref, des difficultés qui ne risquent pas de rassurer les agriculteurs lorgnant de loin la biométhanisation, et encore moins les industriels.
Filière d'avenir?
Pourtant, les ambitions de développer la filière sont réelles au sud du pays. Pour la Région, l'ambition est que le gaz vert occupe 25% du réseau d'ici 2030. Une filière dont le potentiel national est estimé à 15,6 TWh, d'après les surfaces agricoles existantes et les possibilités de raccordement au réseau des exploitations. Pour la Wallonie, le développement nécessiterait, d'après Fernand Grifnée, le CEO du gestionnaire de réseau Ores, "200 à 250 millions d'euros de subsides annuels pour atteindre un objectif de 4TWh d'ici 2030". Nous en sommes encore loin, très loin.
En effet, alors qu' Eric Jonkeau négocie pour injecter son gaz sur le réseau Fluxys, d'autres exploitations y sont déjà arrivées. Trois, en réalité. Dernière en date, l'exploitation semi-industrielle de la société Biométhane du Bois d'Arnelle (BBA) aux Bons Villers (Frasnes-Lez-Gosselies), a été raccordée au réseau de distribution en août 2021. Et l'échelle de l'installation est tout autre.
Emmenée par l'entrepreneur Jérôme Breton (34 ans), la société traite 180 tonnes de maïs (qu'elle produit elle-même) et de déchets agricoles et agroalimentaires par jour. Au total, 600 Nm³ de gaz sont injectés sur le réseau, par une installation à 16 millions d'euros, là aussi totalement autonome du point de vue énergétique.
Environnement réglementaire
Ceci fait de BBA la première installation semi-industrielle de Wallonie à être reliée au réseau. Mais, pour que d'autres suivent, l'environnement réglementaire doit se simplifier. "Les banques nous ont rapidement suivis, mais les procédures administratives étaient très lourdes", signale Jérôme Breton.
La Wallonie n'est pas en avance, bien que la technologie de biométhanisation soit connue depuis des décennies. La raison du retard à l'allumage? "Un manque de volonté politique", assène l'entrepreneur. Notons qu'en Région wallonne, les acteurs du secteur Valbiom et Gas.be se mobilisent au sein d'une "Green gas platform" pour accélérer le développement de la filière.
Aujourd'hui, alors que la question de l'approvisionnement en gaz naturel est plus que jamais au centre des préoccupations, la biométhanisation a résolument le vent en poupe. Mais pour que d'autres entrepreneurs, moins téméraires que Jérôme Breton et Eric Jonkeau, suivent, il faudra améliorer le modèle. Et leur simplifier la tâche.
Le résumé
Auteur: Maxime Vande Weyer pour l' Echo
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